Ce manoir fortifié, dont l’actuelle construction remonte au XVIIème siècle, est situé à l’emplacement d’un fief qui se perd dans l’origine des temps.
Au fil du temps, on retrouve dans les écrits plusieurs orthographes : Noeufville, Neufville, Neuville.
Le domaine est construit sur une motte castrale (ou motte féodale) : dans les années 890, pour se protéger des envahisseurs, les habitants des régions agricoles se regroupent autour des propriétaires des grands domaines qui font creuser, par les serfs, manants et vilains, des fossés remplis d’eau. La terre, accumulée au centre, forme une butte plus ou moins haute sur laquelle ils édifient leur maison. Pour passer le tour d’eau, un système de pont-levis sert de protection. C’est l’origine des mottes castrales ; il en existait trois à Sailly : Neuville, Meurchin et la ferme de la Motte.
A Neuville, on situe un « Franc Alleu », c’est-à-dire une motte castrale ne dépendant d’aucun seigneur. Cette motte, dotée de fortifications, aurait pu se trouver dans le pré actuel, à la gauche du manoir.
1293 Le chevalier Jean de Ruenne porte le fief avec terres et services à Guy de Dampierre, comte de Flandre qui, par lettre, le lui remet aussitôt.
1372 On trouve le fief de Neuville tenu de la salle Lille à Vicomte et à 10 livres de relief, comprenant 20 bonniers et 3 quarterons de prés, plus 10 bonniers de terres et rentes.
1459 Par ordonnance du 3 février consacrant l’appartenance du fief de Neuville à Jehan de Lannoy, ce dernier affecte le terrage aux chanoines de son château de Lannoy.
Le manoir de Neuville, dès cette époque, restera, tout comme le fief de Monpinchon, dans les biens des comtes de Lannoy.
1611 Le manoir est vendu par Philippe Guillaume de Naussau, prince d’Orange, chevalier de la Toison d’Or, devenue Seigneur de Lannoy par sa mère, Anne d’Egmont, seule héritière du fief de Lannoy.
1615 Le nouveau seigneur Pierre Cambier compte en son fief 30 bonniers, 814 vergers. Sa position dans le village est des plus influentes, disposant de « bancs plaidoyables, baillis, lieutenants, juges, rentes et cottiers, sergents et 4 bornages ».
Pierre Cambier et Catherine Le Pipre ont eu une fille, Anne, qui épouse Jacques de Hénin (Haynin). Ces derniers auront cinq enfants.
1650 Anne décède avant ses parents. Simon de Hénin obtient le 19 mars, des lettres patentes du roi Philippe IV l’autorisant à démembrer le fief en cinq.
Le manoir et le fief principal reviennent à l’aîné Antoine de Hénin dont la fille, Rose, épouse Antoine Le Pippre. C’est donc Antoine de Hénin qui fait réédifier la plupart des bâtiments qui existent encore aujourd’hui et, notamment, le corps de logis.
Dans une description du diocèse de Tournay en 1690-1728 établie par l’Abbé Pasture en 1698, on peut lire : « Le château de Neuville est au seigneur du même nom, de la maison de Hénin (Haynin) avec 40 bonniers de terre (territoire de la Paroisse environ 300 bonniers) »…
1684 L’époque est faste : le manoir est en grande partie rénové. On retrouve l’inscription de cette année au-dessus de l’ancien pont levis.
1693 Le 26 mars, Antoine de Hénin décède à l’âge de 67 ans. Simon Le Pippre, écuyer, seigneur de la Vallerie, lui succède. Sa fille Catherine épouse Louis-Joseph Imbert, seigneur de Winehoutte. Ils ont ensemble une fille.
1770 La fille de Louis-Joseph et Catherine Imbert vend le fief.
La suite de la succession de Neuville est assez confuse car, sous les révolutions, les ventes des seigneurs exilés étaient parfois fictives, parfois réelles, souvent contestées. Aussi, contentons-nous de citer quelques baillis qui, à la suite d’Alard Le Coq qui servit Antoine de Henin, et Guilbert Bury qui servit Simon Le Pippre, occuperont tour à tour les lieux.
C’est à la suite de la famille Agache qu’apparaît le nom de la famille Boutemy qui, entre-temps, baillis et propriétaires se confondant, a acquis le domaine.
1800 Neuville emploie une cinquantaine de personnes. Comme de multiples exploitations de la région, la culture principale est celle du lin. Les tâches sont essentiellement manuelles ; on estime à l’époque qu’une personne exploite un hectare de terres. Le personnel loge dans des petites maisons qui courent le long de la Drêve de Neuville.
1850 L’arrivée du coton venant des Amériques signe le déclin de la culture du lin.
1941 L’exploitation est louée à Henri Bonte.
1975 Philippe Boutemy reprend l’exploitation.
1983 Après cinq ans de travaux, la sœur de Philippe Boutemy, Nadine Boutemy et son mari, Jean-Eloi Marchant, s’installent à Neuville.
L’actuel manoir porte la marque d’Antoine de Hénin ; le porche est orné des ses armes, à la clef de voûte du cintre du portail (d’or à la croix engrelée de gueule).
Sur la droite, on voit une pierre sculptée représentant une tête de cheval entourée de rinceaux Louis XIII. Une hypothèse émise pour expliquer l’existence de cette sculpture : Annappes semble avoir été le lieu d’un haras important, utilisé pour la Cavalerie et Neuville fut peut-être une dépendance de ces haras.
De part et d’autre de la porte, on distingue les fentes de manœuvre de l’ancien pont-levis. Au-dessus de la porte était la salle de police qu’on atteignait par la salle de garde, à droite de l’entrée. Il faut savoir qu’à une époque, la justice était rendue en ces lieux et les truands ou autres « malfaisants » y étaient parfois durement traités.
Les hautes murailles, nues, débarrassées de tout détail superflu, sont entourées de ce qui, à l’origine, était de larges fossés qu’on voulait infranchissables.
Contournant les bâtiments, on peut distinguer par endroits, les meurtrières à l’usage des archers, notamment dans certains murs qui subsistent de l’époque médiévale.
Les granges ont perdu ici la charpente originale du XVIIème siècle mais les poutres, probablement bicentenaires, sont impressionnantes.
On remarque, dans la cour, que les bâtiments d’étables ont été surélevés pour l’usage d’un second niveau mais, un peu partout, on distingue encore les cintres en briques, marquant portes et fenêtres, et l’ordonnance générale propre à la défense et aux soins du bétail. L’abreuvoir, au milieu de la cour dont les murs ont été refaits, très utile au bétail, constituait aussi une réserve d’eau en cas d’incendie.
La partie la mieux conservée est le corps de logis, édifié en 1682, en surélévation par rapport à une construction antérieure. La charpente, d’époque, en excellent état, couvrant de vastes greniers, devrait encore défier le temps.
Si on pénètre à l’intérieur, dans la partie antérieurement réservée à l’usage occasionnel du seigneur et de sa suite, disposition qui était exigée par le bailli, on est frappé par l’impressionnante austérité qui se dégage de l’ameublement de style Louis XIII. Au fond du hall, l’escalier en spirale prête ses marches massives qui gémissent un peu sous les pas. S’ouvrant sur une longue suite de chambres nues, les lourdes portes grincent. Les cheminées semblent prêtes à revivre…
Les boiseries, nombreuses, moulurées, parmi lesquelles se dissimulent de mystérieuses petites caches, sont parfois fendillées.
Les verrous de fer forgé crissent. Au détour d’un couloir s’ouvre une curieuse petite porte articulée. L’atmosphère qui se dégage attise l’imagination. Il nous semble soudain entendre des pas, des cliquetis : n’allons-nous pas buter sur quel que Mousquetaire ?
Dans cette dernière chambre, près de la fenêtre, n’est-ce pas l’ombre de la douce Catherine ? Et cette musique, n’est-ce pas celle de son luth ?
Hélas, l’escalier s’ouvre sous nos pas. De la salle de garde, aucun sergent ne s’étonnera de notre présence. Des marches de pierre bleue nous rejettent dans la cour, à côté de la grande porte…
De la Drêve de Neuville qui était autrefois un pavé communal menant à Robigeux, on peut encore jeter un regard sur l’imposante bâtisse. On découvre ensuite l’aile droite qui abritait les cuisines et le logement du bailli.
De la terrasse entourée d’un muret et par un petit pont, on accédait au milieu du pré, à un fournil placé là pour la cuisson du pain. Les traces de fondation sont encore visibles et ce genre de four existait partout dans les fiefs de la région.