Roger Villers – Réflexions sur l’école libre

Si vous le permettez, je vais passer à un tout autre sujet qui concerne une cause qui m’est chère, pour laquelle je me suis battu, depuis ma prime jeunesse : celle des Ecoles Libres.

Né à Forest sur Marque en  1921, j’ai été élevé jusque l’âge de 12 ans à l’Ecole Sainte Marie de ce village, puis je fus pensionnaire au Pensionnat St Jean Baptiste de la Salle à Estaimpuis en Belgique, avant d’entrer dans la vie active dans la ferme de mon père.

J’ai été très marqué par l’éducation des Frères des Ecoles Chrétiennes à Estaimpuis. Ces hommes, chassés par le gouvernement de gauche de 1904, revenus 10 ans plus tard pour défendre leur Pays, beaucoup furent tués ou blessés en 14-18, ne purent revenir professer en France après 1918. C’était des exilés. Je les ai vus pleurer quand ils parlaient de leur « chère France ».

Mais, en 1945, grâce à de Gaulle, ils purent revenir. Vous ne pouvez penser ce qui se passait en moi devant les paroles de ces hommes, ces Frères, que je vénérais.

De ce temps-là naquit en moi la haine envers tout ce qui était de gauche. J’ai toujours été, et je serai toujours, un défenseur des Ecoles Libres.

Or, il y a quelques années, le gouvernement Juppé voulut faire une loi d’aide aux Ecoles Libres que le Conseil Constitutionnel, sous les ordres de Badinter refusa d’accepter. En plus, il y avait à la tête de l’Etat le fameux Mitterrand qui déclara : « Les Ecoles Libres ont attendu plus d’un siècle, elles attendront encore pour être aidées, tant que je serai là ! ».

Mais, ce qui m’a fait bondir, en cette année, c’est l’intervention intempestive du Cardinal Decourtray, évêque de Lyon, contre cette loi d’aide aux Ecoles Libres. Mon sang n’a fait qu’un tour. Je lui ai écrit. Je vous livre ma lettre et sa réponse…

« Monseigneur,

J’ai sous les yeux la déclaration que vous avez faite mardi dernier 21 décembre, relative à la loi Falloux.

Je vous la livre telle que je l’ai lue le 22 de ce mois, sur le quotidien Nord-Eclair : « Ca a été enlevé à la hussarde. Je ne comprends pas bien pourquoi. Les écoles libres ne sont en situation de péril presque nulle part. C’est excessif ».

Et vous avez terminé vos propos en vous prononçant pour l’abrogation de ce décret.

Ca, c’est un comble ! Pour une fois que le gouvernement français veut aider les Ecoles Libres, voici qu’un haut dignitaire de l’Eglise est contre !

J’avais eu l’intention de vous écrire, Monseigneur, récemment sur un tout autre sujet.

J’avais vu, dans la Presse, et entendu à la Radio, les propos que vous avez tenus, lors de la visite du Saint Père, en Autriche.

Vous avez été troublé, paraît-il : je ne comprends pas bien pourquoi.

D’accord, le Chancelier autrichien Kurt Waldheim est un ancien officier S.S. Il n’a pas été prouvé, que je sache, qu’il ait été responsable des massacres perpétués par ces régiments nazis. Et puis, cinquante ans après toutes ces horreurs, il me semble qu’il est temps de tirer un trait sur ces événements qui ont bouleversé notre jeunesse.

Ascq, où 86 innocents ont été massacrés le 1er avril 1944, Ascq, dis-je, a pardonné. En avez-vous fait autant, vous ?

Ce que je vous reproche, et je regrette de ne pas vous l’avoir écrit à ce moment-là, c’est d’avoir manqué à votre devoir de réserve vis à vis du Saint Père.

Polonais de naissance, Karol Wojtyla a souffert beaucoup plus que vous et moi de l’occupation nazie, et, ensuit, de 45 ans de terreur bolchevique. C’est la foi ancestrale, et le catholicisme enraciné dans l’âme polonaise, qui a permis à cette nation de surmonter l’anéantissement.

Vous n’avez pas de leçons à donner à Jean Paul II. Et si vous avez été troublé, eh bien ! vous n’aviez qu’à garder votre trouble pour vous, et n’en pas faire état en claironnant votre désaccord avec le Pape. Les catholiques de France en ont par dessus la tête de ces querelles en haut lieu.

Quand Mitterrand recevait en grande pompe le misérable dictateur communiste polonais Jaruzelski, couvert du sang des catholiques de son pays, responsable de la mort du Père Popielusko, aumônier de Solidarnosc, le président du Conseil des ministres Fabius, ce milliardaire socialiste, a fait part à ce moment-là, lui aussi, de son trouble. Je ne suis pas d’accord, ni du même bord, que Fabius, mais sur ce sujet, je ne pouvais que lui donner raison.

Le Père Popielusko, battu à mort par les miliciens de Jaruzelski, jeté dans la Vistule alors qu’il respirait encore ! J’aurais aimé entendre un prélat français condamner cette ignominie.

Ceci dit, j’en arrive au but initial de ma missive.

Je ne sais pas comment ont réagi les hommes et les femmes qui se dévouent pour la cause des Ecoles libres, mais, ce que je sais, c’est que tous mes amis en ont éprouvé un profond malaise, en prenant connaissance de votre intempestive déclaration.

Comment ! Les Ecoles libres ne sont en péril presque nulle part.

Erreur, Monseigneur. J’ai été élevé dans la petite école libre Sainte Marie de Forest-sur-Marque, mon épouse dans la petite école libre Sainte Marie de Willems, nos 6 enfants dans cette même petite école, et je puis vous assurer qu’il est grand temps qu’elles puissent être aidées, pour améliorer leurs locaux, afin de pouvoir éduquer décemment les enfants qui leur sont confiés.

Et c’est le cas des centaines de petits établissements privés de notre diocèse. Il existe, je le concède, quelques grandes écoles privées, réservées aux classes supérieures, qui souffrent moins de l’ostracisme outrancier du CNAL et de la FEN et de tous ces syndicats de gauche, mal dans leur peau depuis les élections du 28 mars 1993, de tous ces enseignants fourriers du socialo-communisme, qui ont régné 12 ans sur notre pays, avec tous les scandales que vous savez.

Ah ! Ils ont trouvé un beau cheval de bataille pour relever la tête, tous ces nantis.

Ils vont, paraît-il organiser une grande manifestation pour la défense de leurs intérêts, le 16 janvier prochain. Quels intérêts n’ont-ils pas toujours été privilégiés, tous ces nantis, vis à vis du privé ? Peut-être est-il dans vos intentions de participer à cette manifestation ? Je leur souhaite un beau temps hivernal pour ce jour-là.

Je doute qu’ils obtiennent autant de succès que les manifestations de survie de 1984 organisées par nos dirigeants nationaux.

J’étais à Lille, en février 84, dans le froid et la neige et à Paris, le 24 juin de la même année, par un temps splendide.

Dieu était avec nous ce jour-là, il y avait, paraît-il 2 millions de manifestants, plus que le Général de Gaulle n’en avait drainés lors du défilé de la Libération du samedi 26 août 1944 à Paris.

Ce sursaut du pays pour la défense des écoles privées a du reste été bénéfique pour elles puisque la loi Savary n’a pas été promulguée et a provoqué la chute du sectaire président du Conseil d’alors, Pierre Mauroy.

Souffrez que je vous livre ce que j’ai observé lors de ces deux journées. Je n’ai pas vu parmi les manifestants, l’évêque de Lille en février, ni le Cardinal Lustiger à Paris en juin.

Ce fait m’a révolté. Je sais très bien la volte-face des hautes autorités religieuses de notre pays qui se sont désintéressées des Ecoles libres. Elles l’ont affirmé haut et clair lors d’une réunion à Toulouse voici quelque temps.

Vous avez, paraît-il d’autres tâches et d’autres occupations à assumer.

Le défunt Cardinal Liénart, lui, était d’une autre trempe. Il défendait les Ecoles libres, lui.

J’avais 23 ans quand la France a été libérée du joug nazi. Je n’ai pas oublié le dimanche 3 septembre 1944 quand l’Armée anglaise a libéré notre village. Paris fêtait sa libération 8 jours avant.

Un gouvernement provisoire s’était installé à Paris. Une des premières lois qu’il édictait : la suppression de l’aide de l’Etat au privé que Pétain avait instaurée en 1940. Tout était à faire, le pays était ruiné, plus de ponts, les ¾ des usines détruits, l’Allemand occupait encore plusieurs ports (Lorient, Royan, Dunkerque), l’Alsace et la Lorraine, bref, plutôt que de s’atteler aux vrais problèmes, tous ces politiciens non élus à majorité de gauche, à peine installés, coupaient les vivres à l’Enseignement libre dans les premiers jours de septembre 1944. Le Général de Gaulle avait d’autres soucis en tête, pour empêcher ce scandale.

Le porte-parole de la France libre à Londres, Maurice Schumann, flétrissait cette loi à la tribune de la Chambre des députés « C’est une provocation » s’exclamait-il. Et le Cardinal Liénart, dans tous les propos qu’il tenait dans cette période, condamnait l’attitude du gouvernement provisoire. Les malheureuses écoles libres devaient être victimes de cet état de fait jusqu’en 1958.

Quand de Gaulle revint au pouvoir en 1958, cette année-là, il fut contacté par le Cardinal Liénart, quand il vint à Lille le dimanche 7 septembre, le Cardinal lui ayant demandé instamment de faire une loi pour soutenir le privé; il répondit : « Ca vient, ça vient, mais nous avons tellement à faire ! » C’est venu. En 1959, enfin, parut la loi Debré avec les contrats d’association, et, enfin, prévalut la justice scolaire.  Ce n’était pas encore la parité, (elle ne l’aura jamais), mais un salaire décent put être donné aux enseignants du privé avec quelques modestes avantages qui ont toujours été contestés par la gauche.

Je vous prie de m’excuser, Monseigneur, si mes propos ont pu vous paraître insolents et violents. Je ne suis qu’un modeste cultivateur retraité, pas très riche.

Nous avons peiné, ma femme et moi, pour élever nos 6 enfants, en leur assurant une éducation chrétienne, ce qui n’a pas toujours été facile, croyez-moi. Mon épouse et moi-même ne regrettons rien, nous avons assumé nos fonctions d’éducateurs comme nous estimions devoir le faire et, encore aujourd’hui, nous aidons de notre mieux notre petite école libre Sainte Marie de Willems, toujours bien gérée par ceux qui nous ont succédés au Comité local d’aide à Sainte Marie.

Je ne sais pas comment ont réagi tous ceux et toutes celles qui se dévouent pour que subsistent nos écoles libres, mais, ce que je sais, c’est que tous mes amis ont éprouvé un profond malaise en prenant connaissance de vos propos. Passons…

J’avoue que, en cette veillée de Noël, jour de joie et d’espérance et de paix aux hommes de bonne volonté, j’avoue éprouver une profonde tristesse en relisant ma lettre devant la violence de mes propos.

Propos tenus sous l’empire de la colère, parfois mauvaise conseillère. Mais, tout compte fait, il me semble qu’une franche explication, même assortie de réflexions brutales, vaut mieux que des critiques tenues hors de la portée des personnes visées.

Tout compte fait, je me demande si je fais bien de vous envoyer ce courrier. Je vous l’adresse quand même. Si j’ai pu vous blesser ou vous causer quelque peine, croyez que je le regrette, et veuillez m’en excuser.

Je vous présente, en cette fin d’année, tous mes vœux de joyeux Noël, et de bonne et heureuse année 1994, avec bien du courage et de bonne santé dans le dur ministère qui vous incombe.

Avec mes excuses, croyez à mon plus profond respect.

Willems ce 24 décembre 1993

 Roger Villers.

 

 Je vous ai recopié in extenso la lettre que j’ai envoyée fin 1993 au Cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, qui avait pris une position quelques jours avant, contre une loi proposée par Mr Bayrou, ministre de l’Education Nationale du gouvernement Juppé, loi qui ne fut pas appliquée à cause du Conseil Constitutionnel, comme vous le savez. Il paraît que Mgr Decourtray a été très critiqué par beaucoup de gens comme moi, qu’il a reçu un abondant courrier à ce sujet.

 Je vous recopie ci-après la circulaire que j’ai reçue en janvier 1994, en réponse à ma lettre. Mgr Decourtray est originaire du Nord, de Wattignies, exactement. Il est décédé depuis. Ce n’était pas un mauvais prélat pourtant, mais il faisait partie des contestataires au Saint Père, et certaines de ses positions ou de ses interventions ne me plaisaient pas, car il se permettait de critiquer le Pape. Alors, et le dogme de l’infaillibilité du Saint Père ?

Quand on voit les agissements de Mgr Gaillot, par exemple, pas étonnant que certains chrétiens se détournent de l’Eglise.

Voici la lettre que j’ai reçue, la circulaire, plus exactement, de Mgr Abel Cornillon, vicaire général de l’archevêché de Lyon.

ABEL CORNILLON

Vicaire général, secrétaire général de l’Archevêché

1, place de Fourvière

69321 Lyon Cedex 5

TPH 04.78.25.12.27

A vous tous qui avez manifesté votre désapprobation sur l’intervention de Son Eminence le Cardinal Decourtray.

Frères et Sœurs dans la foi,

Au nom de Monsieur le Cardinal Decourtray, Monseigneur Abel Cornillon, vicaire général, tente d’apporter quelques précisions aux propos tenus à l’occasion de l’émission de radio diffusée « Le grand oral FM- La Croix » en date du jeudi 23 décembre 1993.

En ce qui concerne la loi Falloux, notre archevêque estimait, lors de son interview, qu’il était bon de « dépoussiérer » cette loi puisqu’elle date de 1850. Mais cet aspect n’a, semble-t-il, pas été bien retenu par l’ensemble des médias.

Il convient de se reporter à l’article paru dans le journal « La Croix » du 22 décembre dernier, où se trouve l’essentiel, et à celui paru le même jour dans « Le Monde » dont la présentation d’un journaliste semble plus personnelle, mais honnête.

Le Cardinal n’est pas le seul à avoir estimé que la méthode adoptée était rapide. Et cette rapidité lui fit craindre une réaction négative de la part de certains. Son intention était donc plutôt de vouloir faire réussir cette démarche en faveur de l’égalité scolaire.

Cette réponse semble peut-être imparfaite, voire insuffisante ou maladroite. Je me joins à notre archevêque afin de transmettre nos remerciements aux personnes qui se sont exprimées avec dignité, et notre compréhension pour celles qui ont montré leur agressivité. Puis-je permettre cette « réflexion » : notre Cardinal ne se situe ni à droite, ni à gauche, il s’efforce de dire l’Evangile.

Je vous prie d’accueillir, Frères et Sœurs dans la foi, la certitude que nous demeurons fondamentalement au service de Celui en qui nous plaçons toute notre Espérance.

Mgr Abel Cornillon

Lyon janvier 1994.

La circulaire recopiée ci-dessus comporte quelques passages que je tiens à relever ; le Cardinal se trompe lourdement quand il pense faire réussir l’égalité scolaire, en prenant position contre la loi Bayrou. Jamais la FEN et le CNAL n’approuveront l’aide au Privé, ces gens ne vivent que dans l’intolérance et la haine vis à vis de la loi Debré.

Je veux bien admettre que la « réflexion », ni de droite ni de gauche, du Cardinal soit sincère. De touts façon, je n’avais pas attaqué le Cardinal sur le plan politique.

Pour clore sur ce chapitre, ce que peut-être peu de gens savent, c’est le régime spécial dont bénéficient l’Alsace et la Lorraine, annexées par l’Allemagne en 1871, les Ecoles libres et le Clergé de ces deux provinces sont aidés à 100% depuis 1919, comme elles l’avaient été de 1871 à 1919 par l’Allemand.

Cela, le sectarisme d’une partie de la gauche française ne l’a jamais admis.

Mais ceci est une autre histoire…

janvier 1994